SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS NAISSANT : La France doit revoir sa copie !
3 décembre 2021L’activiste franco-béninois Kémi Séba était arrêté alors qu’il se rendait à Bobo-Dioulasso pour un meeting contre la politique africaine de la France. Quelques jours plus tard, les faits semblent lui donner raison. En effet, la semaine passée, c’est justement dans la même ville de Bobo-Dioulasso que le convoi militaire français qui a quitté Abidjan pour le Niger a connu ses premiers soucis. Remontée contre une certaine politique de la France, la jeunesse de la même ville manifesta concrètement son hostilité à la traversée de la ville par le convoi.
Depuis le coup d’Etat de Salou Djibo contre le président Mamadou Tandja du Niger qui n’avait pas craint de modifier la Constitution pour prolonger son mandat à la tête du pays, en passant par le mouvement « Y en a marre » au Sénégal qui a empêché la réélection du président Abdoulaye Wade, le mouvement insurrectionnel d’octobre 2014 qui a chassé le président Blaise Compaoré du pouvoir, sans oublier les manifestations qui ont abouti au coup d’Etat au Mali du Colonel Assimi Goita, on peut dire que quelque chose de nouveau se dessine en Afrique francophone.
Depuis la Conférence de Brazzaville en 1944, les autorités françaises ont élaboré une stratégie politique qui consiste à garder à tout prix la mainmise sur leurs anciennes colonies africaines. Initiée par Charles de Gaulle, cette politique s’est poursuivie jusqu’à nos jours. A l’exception du passage éclair au pouvoir de quelques leaders politiques qui ont su déjouer les stratégies de la France comme Sékou Touré de la Guinée, Sylvanus Olympio du Togo, Modibo Kéita du Mali, Marien Ngouabi du Congo et Thomas Sankara du Burkina, les présidents d’Afrique francophone ont presque toujours été de vrais sous-préfets de la France, heureux de jouer leur rôle de simple relais qui leur permet de garder le pouvoir avec le soutien des services de renseignement français.
Les populations d’Afrique francophone contestent maintenant, de plus en plus bruyamment, cet état de choses. Il se dégage une certaine impression que l’Afrique francophone est en train d’échapper à la France. Non pas du fait des dirigeants qui restent à ses ordres, mais du fait d’une population qui subit une mutation qualitative depuis la période des indépendances. Et c’est ce que la France semble n’avoir pas encore compris.
On assiste donc à l’émergence d’une société civile de plus en plus éveillée, de plus en plus consciente aussi de sa force. C’est en cela que le blocage à Kaya du convoi militaire français est révélateur. Cela dit, ce fait nous interpelle aussi car il faut beaucoup de discernement dans l’action. Sous prétexte de remise en cause de la présence française, il ne faudra pas poser des actes désordonnés ou qui peuvent même se révéler contre-productifs.
A Bangui, capitale de la Centrafrique, il est loisible de voir patrouiller des véhicules militaires, des blindés notamment, flanqués des drapeaux centrafricains et… russes. Depuis plusieurs mois, l’influence russe prend de l’importance dans ce pays, ancienne colonie française longtemps déchiré par des violences.
Le président centrafricain, Faustin Archange Touadéré a misé sur Moscou pour assurer la sécurité et la défense de son pays. Ce choix des autorités de Bangui s’accompagne d’une campagne de communication aux forts relents anti-français.
A un peu plus de 4.000 kilomètres de Bangui se trouve Bamako, la capitale du Mali. Si dans ce pays l’influence russe n’est pas encore très importante, le désamour vis-à-vis de Paris se fait ressentir auprès des populations.
Plusieurs manifestations dans les rues de la ville malienne ont laissé éclater le sentiment anti-français. Nonobstant la présence militaire de Paris à travers l’opération Barkhane, de nombreux Maliens sont convaincus que l’ancien colon est à la base des malheurs dans ce pays.
Ce regain du sentiment anti-français en Afrique peut s’expliquer par une volonté des jeunes africains francophones de voir leur pays s’ouvrir à d’autres partenariats qui seraient pour eux, moins contraignants.
De fait, depuis les indépendances, à travers la « Françafrique » qui est plus un système mafieux qu’un outil de développement, la France a soutenu et parfois maintenu au pouvoir plusieurs chefs d’Etat qui lui sont favorables. Le soutien clan Bongo au Gabon, à la famille Déby au Tchad ou encore au 3e mandat d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire sont autant de faits qui ont contribué à écorner davantage l’image de l’Hexagone en Afrique.
Si la volonté de la rue africaine semble claire, il est plus difficile que cela pour ces pays de prendre leurs distances vis-à-vis de la France. D’abord du point de vue culturel, il faudrait une position radicale comme celle du Rwanda qui a décidé d’adopter l’anglais pour casser une bonne partie de l’influence française.
En outre, d’un point de vue économique, la France reste le chef d’orchestre de nombreux projets de développement sur le très long terme dans ses ex-colonies. Les autres pays étant plus des partenaires commerciaux que des acteurs sur des projets dits de développement.
Enfin, l’autre point fort de la France en Afrique est sa présence militaire. Les bases d’Abidjan, Libreville et Djibouti restent des places fortes capables encore de changer le cours de l’histoire en Afrique de l’ouest et du centre.
Et que dire du Franc CFA, la monnaie utilisée par quasiment toutes les ex-colonies françaises. Elle matérialise à elle-seule, l’influence quotidienne de Paris au sud du Sahara et conserve encore de beaux jours devant elle.
Paul Yapi N’GUESSAN