LES ELECTIONS EN AFRIQUE : un mirage démocratique ?

LES ELECTIONS EN AFRIQUE : un mirage démocratique ?

16 novembre 2020 0 Par Mali Scoop

Le début des années 1990 a été marqué en Afrique par une vague de démocratisation et par l’universalisation du discours démocratique, entraînant la réintroduction du multipartisme et des élections concurrentielles dans la plupart des pays du continent. Il s’agissait pour beaucoup d’Etats d’une redécouverte, après une longue parenthèse autocratique durant laquelle des régimes mono partisans furent mis en place au nom des impératifs de la construction nationale et du développement, mais également pour élaborer des stratégies d’accaparement des ressources internes ou des rentes liées à l’extraversion.

À l’instar de l’élection présidentielle en Guinée, de nombreux scrutins ont été contestés et accompagnés de violences meurtrières en Afrique, même si certains pays ont connu des alternances réussies. S’il reste difficile de définir les origines de ces crises (politiques, contestations sociales, parfois ethniques), il est de plus en plus aisé d’en définir les acteurs et parfois de les condamner, comme en Côte d’Ivoire ou au Kenya dont les Présidents, respectivement Laurent Gbagbo et Uhuru Kenyatta, ont été convoqués devant la Cour pénale internationale après les violences dans leurs pays.
Pourtant, une question demeure dans tous les esprits : pourquoi réaliser des élections souvent dans la précipitation, en sachant très bien que cela risque de déboucher, tôt ou tard, sur une crise électorale, puisque les résultats seraient évidemment contestés par les perdants ? Preuve qu’au-delà de la crise électorale, il y a une crise structurelle à résoudre dans plusieurs pays africains.
Après un vote pacifique le 27 décembre 2007, le Kenya s’est embrasé à l’annonce de la réélection du Président Mwai Kibaki, contestée par le camp de son adversaire Raila Odinga, que les sondages donnaient gagnant. Des émeutes ont éclaté dans plusieurs bidonvilles de Nairobi et dans les grandes villes de l’Ouest, fiefs de M. Odinga. Les violences politico-ethniques ont fait quelque 1300 morts et plus de 600.000 déplacés, selon des documents de la Cour pénale internationale.
Au Zimbabwe également, après la victoire de l’opposition aux élections générales de 2008, les partisans de l’opposant Morgan Tsvangirai ont été la cible d’une vague de violences (180 morts, selon Amnesty International). Tsvangirai s’est retiré avant le second tour de la présidentielle et son rival, Robert Mugabe, a été réélu lors d’un scrutin qualifié de « farce ».
En mars 2002, la présidentielle, remportée par Mugabe, avait aussi été marquée par des violences.
Des émeutes ont suivi la présidentielle d’avril 2011, faisant plus de 800 morts dans le Nord (HRW). Au Nigéria, les violences ont éclaté après l’annonce de la victoire du sortant Goodluck Jonathan, un Chrétien originaire du Sud, sur son rival, Muhammad Buhari, un Musulman du Nord. En avril 2007, les élections avaient aussi été marquées, selon l’opposition et les observateurs, par des fraudes et des violences. Au moins 39 morts selon le bilan officiel, au moins 200 selon l’Union Européenne.
En Côte-d’Ivoire, il y a eu une crise née du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle de fin 2010 en faveur d’Alassane Ouattara. Arrêté en avril 2011, après deux semaines de guerre et quatre mois de crise, Gbagbo a été incarcéré à La Haye où après plus de dix ans de jugement à la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’Humanité, il a été acquitté. La crise postélectorale a fait quelques 3000 morts. Même scénario, dix ans après, avec cette élection de 2020, où une crise postélectorale s’y est encore invitée.
Au Togo, lors de la présidentielle de 2005, à la suite du décès du Président Gnassingbé Eyadema, des violences ont ensanglanté le pays après l’annonce de la victoire de l’un de ses fils, Faure Gnassingbé. Elles ont fait entre 400 et 500 morts et des milliers de blessés, selon l’ONU.
En 2001-2002, à Madagascar, une crise politique, marquée par des manifestations, a paralysé tout le pays considéré comme la Grande Ile. Didier Ratsiraka a contesté la victoire de son rival, Marc Ravalomanana, au premier tour de la présidentielle de fin 2001, et a répondu à l’auto proclamation de son rival par une confrontation qui a dégénéré en affrontements faisant plusieurs dizaines de morts.
Déjà, en 2009, la proclamation de la victoire d’Ali Bongo, fils du défunt Omar Bongo du Gabon, à la présidentielle, avait été contestée par l’opposition et suivie de trois jours d’émeutes notamment à Port-Gentil. Les violences avaient fait officiellement trois morts, au moins 15 selon l’opposition.
Trente ans après l’instauration de la Démocratie, un état des lieux de la réintroduction du multipartisme dans le système électoral en Afrique est, donc, bienvenu. Il est temps de se demander si la généralisation des processus électoraux a contribué à une consolidation de la Démocratie ou si ceux-ci n’ont été au contraire qu’une façade permettant le maintien des élites dont les discours changent mais non les pratiques, voire un vecteur d’instabilité dans des contextes historiques et culturels éloignés de ceux de l’Occident.
Il revient aux acteurs politiques d’œuvrer à la dédramatisation des campagnes, gage d’un bon déroulement du processus électoral. Ce qui dépendra de nombre de facteurs comme la diffusion d’une culture démocratique dont l’un des moyens est l’organisation périodique d’élections ; il en est un autre qui concerne les règles électorales. C’est le défi que lancent les élections aux nouvelles Démocraties d’Afrique et à leurs Dirigeants politiques dont, on l’oublie parfois, que c’est d’abord à ceux-ci qu’il revient de le relever.
Paul N’GUESSAN