Aguibou BOUARE président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) : «  Nous appelons les autorités au respect des droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d’opinion, d’expression, de presse ».

Aguibou BOUARE président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) : « Nous appelons les autorités au respect des droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d’opinion, d’expression, de presse ».

31 janvier 2022 0 Par Mali Scoop

Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président de la Commission nationale des droits de l’homme(CNDH), nous parle de la CNDH ; des droits de l’Homme au Mali. Tout en dénonçant certaines violations faites aux droits de l’Homme, Aguibou Bouaré appelle les autorités au respect des droits et libertés  fondamentaux.

 

Le Point : Qu’est-ce que la CNDH ? Quels sont ses objectifs, ses missions et ses moyens de pressions?

Aguibou BOUARE : Le CNDH est une Institution Nationale des Droits de l’Homme du Mali, un Mécanisme National de Prévention de la Torture et Mécanisme National de Protection des Défenseurs des Droits Humains.

Elle est créée par la loi 2016-036 du 7 juillet 2016 et a trois missions principales : la protection et la promotion des droits de l’Homme ainsi que la Prévention de la Torture. Elle dispose d’un mandat légal pour veiller au respect et à la protection des droits humains de toute personne résidant sur le territoire malien.

La CNDH reçoit des plaintes individuelles ou collectives sur des allégations de violation des droits humains; nous menons des investigations pour l’établissement des faits; nous entreprenons toutes mesures utiles pour mettre fin aux violations constatées.

Nous faisons des recommandations et émettons des avis techniques à l’attention des Autorités compétentes. La CNDH est chargée de la formation, de l’enseignement et de la sensibilisation sur les questions de droits de l’homme dans le but d’instituer une culture des droits humains dans notre pays. La Commission effectue également des visites régulières ou inopinées dans tous les lieux de privation de liberté, en vue de lutter contre la torture, les mauvais traitements, cruels, inhumains ou dégradants, l’idée est d’arriver à l’humanisation des prisons.

Dans la même veine, il faut préciser que les droits de l’Homme sont consacrés par les instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux soit adoptés par notre pays (Constitution et lois du Mali) soit ratifiés par le Mali (conventions et traités régionaux et internationaux). C’est dire qu’il ne s’agit aucunement d’idées occidentales imposées au Mali, ou d’opinions personnelles des Défenseurs des Droits humains, contrairement à certains clichés ou idées reçues. Mieux, la Charte de kurunkafuga de 1236 fait partie des instruments juridiques historiques fondant le droit à la dignité humaine. Les droits de l’Homme ne sont rien d’autres que l’ensemble des droits universels, inaliénables, indivisibles inhérents à la nature humaine, sans discrimination, pour la sauvegarde et le respect de la dignité humaine.

Que pensez-vous des droits de l’Homme au Mali. Sont-ils respectés ?

Aguibou BOUARE : Le tableau des droits humains au Mali n’est pas reluisant du fait du terrorisme, des conflits inter et intra-communautaires, de l’insécurité tous azimuts. La crise multidimensionnelle que traverse notre pays depuis environ une décennie, le transforme en terreau favorable aux violations, abus et atteintes aux droits humains.

On peut dénoter, entre autres, les atteintes aux droits à la vie, à l’intégrité physique, à la sécurité, à la santé, à l’éducation, dues essentiellement à l’absence de l’Etat et son corollaire de privation des services sociaux de base, dans les zones de théâtres des conflits.

Les évènements ayant précédé la rupture institutionnelle du 18 août 2020 et ceux l’ayant suivie ont donné lieu à  des violations et abus des droits humains, notamment des cas d’arrestations et de détentions arbitraires, des traitements discriminatoires de la liberté de manifester, des allégations d’atteintes à la liberté d’opinion et d’expression.

L’esclavage par ascendance connaît une recrudescence avec des manifestations souvent violentes, parfois conduisant à des atteintes au droit à la vie.

La lutte contre l’impunité ne connaît pas d’avancées significatives malgré la tenue de certaines audiences spéciales sur les crimes de terrorisme, de corruption et d’atteintes aux biens publics…

Les atteintes au principe de la présomption d’innocence à travers l’émission quasi-systématique de mandats de dépôt et du non-respect de la « la liberté comme principe, la détention comme exception « .

Les mauvaises conditions de détention dans certaines Maisons d’arrêt et unités d’enquêtes sur fond de surpopulation carcérale, de non-respect de certains droits fondamentaux des détenus (droits à la santé, à l’alimentation, à la visite extérieure…).

Le non-respect des délais de garde à vue au niveau de nombreuses unités d’enquêtes ; les traitements inhumains ou dégradants parfois les actes de torture subis par certaines personnes privées de liberté sont enregistrés.

Nous déplorons des obstructions ou tentatives d’obstructions à la mise en œuvre du mandat légal de la CNDH au niveau de certaines unités d’enquête surtout certaines Brigades de gendarmerie ou Maisons d’arrêt.

Au sujet du fléau de l’esclavage par ascendance, grâce à une forte implication de la CNDH dans cette lutte, nous enregistrons des avancées. Déjà, ce n’est plus un sujet tabou à ce jour. Je parlais tantôt de la lettre circulaire de l’actuel Ministre de la Justice, consécutive à celle du ministre Malick Coulibaly instruisant les Procureurs de faire une exploitation optimale du code pénal pour mieux sévir contre les manifestations infractionnelles des pratiques d’esclavage par ascendance pour mettre fin au prétexte de l’absence de loi spécifique incriminant l’esclavage par ascendance au Mali.

Il faut rappeler que grâce à notre leadership, nous assurons la présidence de la Coalition Nationale de Lutte contre l’Esclavage au Mali, plateforme regroupant une quinzaine d’organisations de défense des droits humains dédiées principalement à la lutte contre l’esclavage par ascendance. Il faut saluer  tous les Défenseurs des Droits humains tant au Mali qu’à l’extérieur se battant contre ces pratiques esclavagistes ignobles.

Pour venir à bout de ce fléau, nous préconisons la formation, la sensibilisation et la répression pour les « esclavagistes » de mauvaise foi.

Vous savez, cette confusion entre les coutumes et les pratiques esclavagistes attentatoires à la dignité humaine, est en partie due à l’analphabétisme (même si certaines personnes ayant été à l’école tentent de défendre ces pratiques) d’une bonne partie des populations c’est pourquoi, nous préconisons de multiplier les campagnes de sensibilisation et d’information à l’intention des populations concernées. Maintenant, les « esclavagistes  » récalcitrants feront face à la rigueur de la loi c’est là où l’Etat est interpellé en sa qualité de principal responsable du respect et de la protection des droits des personnes et de leurs biens.

Nous avons recommandé la prise de sanctions voire la poursuite de certains Représentants de l’Etat dans les localités concernées qui se rendent complices de ces pratiques esclavagistes ou qui sont laxistes dans la répression des infractions en lien avec l’esclavage par ascendance. Malheureusement, certains Procureurs dans ces localités continuent à nier le fléau. Il faut tout de même saluer les efforts du Ministère de la Justice suite aux lettres circulaires et autres instructions invitant les Procureurs à faire une exploitation optimale du corpus juridique (code pénal) pour sévir contre les pratiques d’esclavage par ascendance; la lettre circulaire instruisant les juges au respect des bonnes pratiques de la justice en matière de saine distribution de la justice et de diligence dans le traitement des affaires est encourageant. Nous nous réjouissons de la disponibilité des Ministres de la justice, de la sécurité, de la défense et du Directeur de la DNAPES, des Régisseurs de certaines

MCA et de certaines unités d’enquête dans le cadre de la bonne collaboration dans le sens de la facilitation de nos missions. Un suivi rigoureux doit être fait dans la mise en œuvre des mesures salutaires ainsi prises pour l’atteinte des objectifs escomptés.

Avec les recommandations des ANR, quels sont les points saillants sur la défense des droits de l’homme ?

Aguibou BOUARE : Les droits de l’homme constituent un concept transversal qui touche tous les domaines de la vie sociopolitique; à ce titre de nombreuses recommandations pertinentes des différents fora organisés au Mali (DNI, ANR…) prennent en charge le respect et la protection des droits humains (droits à la vie, à la sécurité, à la santé, à l’éducation; droit des citoyens de participer à la gestion des affaires publiques soit personnellement soit à travers leurs Représentants légitimes etc.).

Maintenant, le plus important est la mise en œuvre des recommandations pertinentes et consensuelles. En tout état de cause, la défense des droits de l’Homme est une mission permanente et qui doit être inscrite comme priorité au cœur de l’action gouvernementale en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance.

La CNDH a-t-elle fait des propositions lors de différentes phases des ANR ?

Aguibou BOUARE : Nous avons été invités à la cérémonie solennelle de lancement de la phase Nationale des ANR. Comme rappelé, nos recommandations sont régulièrement notifiées aux Autorités compétentes par différents mécanismes et canaux y compris à travers la remise de la copie de notre Rapport annuel au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier ministre et à tous les Chefs d’Institutions. Ce Rapport fait du reste l’objet d’un débat en séance plénière de l’Assemblée Nationale. Nous nous sommes acquittés de cette exigence légale auprès du CNT et des différentes Autorités de la Transition.

Nous avons formulé des recommandations à l’attention du gouvernement allant du renforcement des capacités humaines et opérationnelles des forces de défense et de sécurité. Il faut renforcer le mandat d’intervention des forces partenaires du Mali en les dotant d’un mandat robuste de protection des populations civiles et de leurs biens, en n’oubliant pas que l’Etat du Mali est le principal débiteur du respect et de la protection de toutes personnes résidant sur notre territoire.

Il faut continuer à former et sensibiliser les FDS sur le droit international des droits de l’Homme et surtout le droit international humanitaire qui les protègent-elles mêmes.

Les mesures appropriées doivent être entreprises pour renforcer la confiance entre les FDS et les populations afin que celles-ci aident celles-là dans la lutte contre le terrorisme et l’insécurité à travers les renseignements et la collaboration.

Avec les arrestations de ces derniers temps, certains affirment que la liberté d’expression est menacée. Quel est votre point de vue par rapport à cette affirmation ?

Aguibou BOUARE : Bien avant la Transition, dans la mise en œuvre de notre mandat légal, nous avons régulièrement dénoncé les atteintes aux droits et libertés fondamentaux dont la liberté d’opinion et d’expression.

Récemment, nous avons fait un communiqué sur les menaces sérieuses qui pèsent sur la liberté d’opinion, d’expression sur fond d’incitation à la haine, à la violence, à la discrimination.

Autant nous dénonçons les appels, discours, slogans incitant à la haine, à la violence, autant nous appelons les autorités au respect des droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d’opinion, d’expression, de presse.

Quelles appréciations faites-vous des sanctions de la CEDEAO et l’UEMOA contre le Mali ?

Aguibou BOUARE : Nous regrettons ces sanctions lourdes contre notre pays et invitons les Autorités à privilégier la vertu du dialogue tant avec les différentes composantes sociopolitiques qu’avec les partenaires régionaux et internationaux, afin d’éviter les impacts et effets négatifs desdites sanctions sur la jouissance des droits fondamentaux des populations. L’espoir est permis d’autant plus que toutes les parties prenantes se disent ouvertes au dialogue, et les négociations vont bon train.

Pensez-vous que le Mali va se retirer des deux institutions sous régionales citées-ci-dessus. Quelles conséquences juridiques cela peut-il entrainer?

Aguibou BOUARRE: A l’heure où le monde tend vers le regroupement et la constitution des grands ensembles, je ne saurais conseiller le retrait de mon pays des organisations régionales et internationales dont il est du reste membre fondateur pour certains.

Toute crise peut trouver sa solution dans le dialogue pourvu que les acteurs soient de bonne foi. Aucun pays, aucune puissance ne peut vivre ou du moins survivre en vase clos dans le monde actuel.

Propos recueillis par Boncane Maïga