CONTRIBUTION : La transition assiégée !

CONTRIBUTION : La transition assiégée !

24 décembre 2020 0 Par Mali Scoop

Des morts subites pour le Mali : à qui le tour, après ATT ?
Avec la mise en place du CNT, le 3 décembre 2020, les organes de la Transition sont enfin prêts, sous les menaces à peine voilées du Chef de la MINUSMA, faisant état, deux jours plus tôt, de l’inquiétude des partenaires internationaux pour un si grand retard. La situation est confuse, en cette période post-IBK : pour les uns, il s’agit de jeter les fondements d’un Mali nouveau, avec l’ouverture d’enquêtes, qui impliquent les premières arrestations ; pour les autres, il suffira de procéder à des nouvelles élections, sans prétendre enrayer immédiatement la corruption qui, elle, est vieille comme le monde.

Plus les dossiers se multiplient contre les auteurs de malversations, plus les avis de grèves générales, comme pour y faire barrage, s’accumulent sur les Bureaux du Gouvernement de la Transition : dix-sept, au 15 novembre ! Un record… La vieille reine, l’UNTM, qui eut ses heures de gloire sous le Régime socialiste des années 60, puis sous celui de l’UDPM, avant de contribuer à la chute de cette dernière en s’alliant au Mouvement démocratique de 1990, entre dans la danse, avec deux grèves en moins de deux mois et des revendications en sommeil depuis trente ans. En appui, des journaux titrent que les nouveaux Dirigeants doivent commencer par déclarer leurs propres Biens et patrimoines personnels avant de regarder chez les autres.
Ce 12 décembre, le Ministre de la Fonction Publique, Me Harouna Toureh, avertit les contestataires : qu’ils sachent qu’en faisant échouer la Transition, c’est le Mali qu’ils feront tomber. Le 29 juillet dernier, le Chroniqueur sénégalais, Yoro Dia, écrivait : « Le Mali n’a jamais été aussi proche de la disparition ou de la partition ; la seule et unique urgence pour les Maliens est de comprendre cela et de se lancer dans une course contre la montre pour rebâtir une Armée pendant qu’il est encore temps ; c’est-à-dire en profitant du parapluie français et international ». A peine le coup d’Etat en douceur terminé, les amis du Mali affluent à Koulouba, mais c’est comme au chevet d’un malade, attendant qu’il rende son dernier souffle. Car, la bombe est posée, et on n’attend plus que l’incident qui va la faire exploser. La France, l’Israël, la CEDEAO, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie, l’Algérie, le Maroc, s’apprêtent à agir, pour la conclusion d’une affaire bien concertée et longuement mûrie.

Mort d’ATT : et de deux !
Pourquoi l’évoquer ici ? C’est parce que c’est à lui que remonte la dernière Transition, si pareille à l’actuelle, comme si nous étions revenus à 2012! Le 10 novembre 2020, donc, ATT nous quittait, victime d’une crise cardiaque. Le 15 septembre, c’est le Général Moussa Traoré qui s’en était allé. En annonçant la nouvelle à la Nation, Bah N’Daw avait lié le souvenir des deux Hommes. «Ils laissent le Mali en deuil », a-t-il dit. Et, dans l’impasse, peut-on ajouter. C’était en pleine célébration par l’ORTM des soixante ans d’Indépendance du Mali, et sans avoir assisté à la période critique de notre histoire qui s’annonce. Certains organes de presse n’avaient pas accueilli avec des fleurs l’apparition d’ATT à la télé, le 21 septembre dernier, la qualifiant de plaidoyer pro domo, voire de campagnes déguisées orchestrées par l’ORTM, qui n’en était pas à une poussée de patriotisme près : les soixante ans, n’était-ce pas un cinquantenaire bis ? Déjà, sous IBK, il avait composé le panégyrique des FAMA, un spot lyrique diffusé avant et après le journal, qui vient d’être renouvelé. C’est que le deuxième mandat d’ATT avait laissé un goût d’inachevé ; on avait l’impression qu’avec ce retour le destin national de l’Homme n’était pas forcément clos. Les choses attendaient un dénouement.
La Conférence nationale de 1991 avait intégré la rébellion touareg comme un élément du mouvement démocratique, mais le 6 avril 2012, l’Azawad proclamait son Indépendance, après de graves revers de l’Armée et le coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo. Et les premiers mots d’ATT, à son retour de Dakar, le 19 décembre 2019, furent de dénoncer, non pas le putsch ou l’exécution des Bérets rouges, mais « la guerre injuste » qui nous était « imposée ». Et de faire une apparition remarquée au Dialogue National Inclusif, qui se tenait dans la même semaine.
En effet, pour lui, la terre de Kidal (entendez tout le Nord, le grand quadrilatère) appartient aussi à la majorité noire de la population et non à la seule aristocratie blanche arabo-berbère, une attitude, celle de tout démocrate, que les Chefs de la Coordination des Mouvements Armés de l’Azawad (CMA) dénonceront comme une manœuvre de division. D’autre part, ayant violé le serment d’obéissance du soldat pour servir la démocratie, il ne comprenait pas le soutien de la France à la rébellion touareg.
IBK arrive au pouvoir en 2013 dans l’enthousiasme populaire, avec un slogan : « le Mali au-dessus de tout ». A son actif, les Accords d’Alger de 2015, le Dialogue national de décembre 2019, et un bataillon de « l’armée reconstituée » cantonné à Kidal en février 2020. Apparemment, ce n’est pas suffisant, puisque la CMA considère que Kidal, c’est l’Azawad !

Les Accords d’Alger !

Tout le monde réclame leur application immédiate, comme l’unique voie de sortie de crise. Et ils s’imposent à la direction de la Transition, même si au Sud, les réticences sont fortes dans les populations comme au sein des partis politiques, avec des inquiétudes relatives à l’autonomie prévue pour les régions.

Ballet diplomatique à Koulouba

Le 20 septembre, le chef de la diplomatie algérienne Sabri Boukadoum était le premier membre d’un Gouvernement étranger à se rendre à Bamako depuis le putsch du 18 août ; et il est revenu le 11 octobre. « La solution du problème malien sera algérienne à 90 % », a affirmé le Président algérien Abdelmadjid Tebboune, mettant au grand jour la rivalité avec d’autres pays sur la scène malienne, comme la France, le Maroc, la Mauritanie, les Emirats. La Libye et le Mali sont au centre de la visite à Alger, ce 15 octobre 2020, du Ministre français des Affaires étrangères. C’était la troisième fois en moins d’un an, rencontrant le Premier Ministre Abdelaziz Djerad et le Président Abdelmadjid Tebboune.
Le 25 octobre 2020, Jean-Yves Le Drian a rendu visite au Président de la Transition, avec lequel il a eu un tête-à-tête de 22 minutes, avant d’avoir un autre huis clos avec le Vice-président chargé de la Défense. « Le Mali est un pays très important pour la France, avec laquelle il a des relations très anciennes et qui accueille une importante diaspora malienne », a-t-il rappelé. Chez le Premier Ministre, le lendemain, il a annoncé une aide de 100 milliards de francs CFA destinée à financer quatre projets dont la lutte contre le terrorisme et l’organisation des prochaines élections. Rien n’a, donc, changé : comme dans les bons vieux temps, c’est aux Maliens de faire un usage correct de la manne, dans le cadre d’une bonne gouvernance. Bah N’Daw pourra bien ficeler quelques dossiers de corruption -pas tous, vu le temps accordé par la CEDEAO- et organiser les élections, qui sont attendues de pied ferme par…la classe politique. La Ministre française des armées, Florence Parly, à Bamako le 2 novembre, a eu des séances de travail avec le président et le vice-président de la Transition. La priorité à donner à la mise en œuvre de l’Accord d’Alger et la coopération entre les FAMA et le corps Barkhane étaient au centre des entretiens. Mais avec elle, il y a du nouveau, puisqu’elle a laissé entendre la possibilité d’une diminution des effectifs français engagés au Mali. Est-ce de bon augure ? On verra.
Le même jour, l’Ambassadeur du Royaume du Maroc était venu féliciter le Chef de la Transition.
Lors du premier Conseil des Ministres, le 9 octobre, le Président Bah N’Daw a déclaré : « La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale doit être redynamisée sans tarder ».

La paix et la sécurité

On sait que c’est la raison principale de l’action du 18 août, selon ses auteurs. Or, cinq mois se sont déjà écoulés, depuis la 40e session du Comité de Suivi de l’Accord d’Alger en juin dernier ; la 41e s’est ouverte le lundi 16 novembre.
Le 3 novembre, l’Ambassadeur américain, Dennis B. Hankis, était en visite chez le Président de la Transition pour évoquer les problèmes de gouvernance, de sécurité, en particulier la récente libération d’un otage américain au Niger.
Le nouveau Président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani est investi le 2 août 2019, et le Président Macron est le premier Chef d’Etat à le féliciter. Mais, dès le 16 juillet, le Ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, l’a rencontré discrètement à Paris. Le Mauritanien, un nouveau-venu sur la scène, est également frontalier du Mali et membre du G5 Sahel. Il a envoyé à Bamako deux ministres : celui des Affaires étrangères avant même la levée de l’embargo de la CEDEAO et celui de la Défense, venu le 10 novembre rencontrer son homologue malien et le Premier Ministre Ouane pour les écouter sur les priorités de la Transition. IBK était à Nouakchott en juin dernier au sommet du G5, mais il faut surtout se souvenir que c’est la Mauritanie qui, en mai 2014, à la demande de la France, a servi de médiateur pour la signature du cessez-le-feu, document tenant lieu de certificat de reconnaissance internationale pour les Groupes armés qui contrôlent toujours Kidal .
Bah N’Daw a reçu la visite des Présidents Bissau-guinéen et ghanéen. Le premier, venu en pèlerinage aux sources, le second en mission de la CEDEAO. Il a également accueilli les Ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, des Emirats, de l’Espagne, de l’Italie (qui annonce l’ouverture prochaine d’une Ambassade italienne au Mali), les Ambassadeurs de l’Allemagne, de la Russie, de l’Organisation mondiale de la Francophonie, de l’Union africaine (venu en soutien spécial contre les turbulences observées ces derniers temps sur la scène politique) et, last but not least, de l’Union Européenne, Bart Ouvry.

Menées de la France, de la CEDEAO, de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal et d’autres…

Le 15 août 2019, Macron déjeune avec les Présidents Alassane Ouattara, Alpha Condé et l’ancien Président Nicolas Sarkozy, à l’occasion du 75e anniversaire du Débarquement de Provence. Le journaliste Louis Keumayou ne s’explique pas la présence de la Guinée (avec le « non » de Sékou Touré à la France en 1958), et l’absence de pays comme le Congo Brazzaville, le Tchad ou l’Algérie, qui ont servi de Base arrière à De Gaulle pendant la 2e guerre mondiale. C’est que la Guinée (mais le Tchad aussi) a d’excellentes relations avec Israël, pays qui pourrait intervenir au Mali contre l’Etat islamique et jouer ainsi pour la France le rôle que celle-ci a joué en Libye pour l’OTAN en 2011.
Le 24 août 2019, les Présidents ivoirien et guinéen (encore eux) sont parmi les Invités spéciaux au Sommet du G7 à Biarritz. Il est à noter que le Président Macron avait annoncé que ce sommet prendrait une décision de la plus haute importance sur la sécurité au Sahel, ajoutant cette phrase lourde de menaces : « Le monde est à un moment où tout peut basculer ». Depuis, on attend. A Biarritz, avec le Burkina Faso déjà présent, cela faisait trois pays frontaliers du Mali. Ouattara et Condé, ayant fait leurs deux mandats, devaient quitter le pouvoir en 2020 ; mais, contre toute attente, et, après de sanglantes crises électorales, ils sont restés et le président Ouattara a reçu les félicitations d’Emmanuel Macron, suivies deux jours plus tard d’une invitation à quitter le sol français à l’adresse de l’opposant Soro Guillaume. Le Président français condamne-t-il Alpha Condé réélu le 24 octobre dernier? A vous d’en juger par ce commentaire douillet des événements guinéens fait le 2O novembre : Alpha Condé n’a procédé à la modification de la Constitution que pour se présenter une nouvelle fois. Le 3e mandat, obtenu à la suite d’un changement de la Constitution et d’élections régulières est donc valide, comme en Côte-d’Ivoire.
Or, le Président Macky Sall était à Bruxelles (siège de l’Union Européenne), le 6 juin 2017, où il a rencontré le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou, le Président Donald Trump et le Vice-président ivoirien Daniel Kablan Duncan.
Le voilà en visite en Côte-d’Ivoire du 20 au 22 juin 2019, en train de parler de la situation au Sahel avec Alassane Ouattara, comme s’ils étaient en première ligne. Les deux Chefs d’Etat ayant eu des propos identiques, prenons ceux du visiteur. Il a estimé qu’il fallait «développer des solidarités, mais également des synergies en matière de renseignements et de coopération sécuritaire ».
Le 16 novembre 2019 se tient à Dakar un Forum sur la Paix, avec une forte participation française, mais sans Macron, où l’un des thèmes principaux est : « La sécurité en Afrique, grand enjeu pour la France ». Invité d’honneur : le Président mauritanien. Ce même jour, s’ouvre à Paris un sommet réunissant une trentaine de chefs d’Etats africains sur la paix au Sahel. Macky Sall vient de mettre en place, le 2 novembre 2020, « un Gouvernement de combat » (et d’Union nationale), après avoir supprimé le poste de Premier ministre il y a quelques mois.
Tout se passe comme si la France, guettant le moment propice pour laisser proclamer l’Indépendance de l’Azawad, définitivement, cette fois, se mettait à l’abri de toute mauvaise surprise, en gardant sous la main des hommes sûrs, c’est-à-dire en maintenant à leurs postes les chefs d’Etats ayant accepté la partition du Mali. Le Niger et le Burkina, ayant eu leur part des peines, seraient sans doute prêts à acheter la paix au Sahel avec n’importe quel traitement du « problème de Kidal ». En tout cas, Roch-Marc Christian Kabore en campagnes en cette mi-novembre pour son second mandat, avait promis de ramener la paix. Quelle assurance !
Reste, donc, parmi les pays limitrophes du Mali, l’Algérie. Une Indépendance touareg au Mali ne serait pas, a priori, sans effet sur le mouvement amazig (tamashek) algérien ou marocain, quand on sait que cette ethnie est largement majoritaire dans ces deux pays. Le 26 novembre 2019, en Algérie, des porteurs du drapeau berbère ont été condamnés à six mois de prison. Cependant, la langue amazig y est reconnue comme langue officielle, de même qu’elle l’a été le 16 décembre 2019 au Maroc pour l’administration, l’école et la vie publique (rues, monnaie…)
Une nouvelle donnée vient de s’ajouter au problème du Nord : le Sahara occidental. Une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU en date du 30 octobre 2020 qualifie l’Algérie de« principale partie prenante au conflit du Sahara ». Cette résolution prolonge d’un an la mission de surveillance onusienne du cessez-le-feu signé en 1991 entre le Maroc et le Polisario et ne parle plus d’y organiser un référendum d’autodétermination. Le Polisario estime, dans une déclaration publiée le même jour, qu’il n’a plus «d’autre choix que d’intensifier la lutte par tous les moyens face à l’incapacité des Nations Unies ». Le Polisario n’est pas à confondre avec les terroristes ou les djihadistes: c’est un respectable mouvement de libération nationale contre la colonisation espagnole, comme le PAIGC en Guinée-Bissau, le FRELIMO au Mozambique ou le FLNA en Angola qui se sont battus contre les Portugais. Ce mouvement a proclamé en 1975 la RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique), reconnue par l’Union Africaine et l’ONU, soutenue par l’Algérie et combattue par le Maroc, qui en a annexé une bonne partie devenue ses « provinces du Sud ».
En somme, l’embrasement sahélo-saharien impliquant l’Algérie, le Maroc, le Polisario, et la Mauritanie a déjà commencé avec les incidents survenus le 10 novembre 2020 entre les FAR (Forces Armées Royales du Maroc) et le Polisario.
Le G5 Sahel, qui n’a toujours pas fait ses preuves, va peut-être devoir céder la place à la France et à l’Union Européenne sur un champ de bataille englobant désormais le Maghreb. On vient d’apprendre ce 18 novembre l’adhésion de la Mauritanie à la Coalition contre l’Etat Islamique, où elle rejoint le Maroc, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar. Mohamed Ould Ghazouani dont le pays abrite le siège social du G5 et qui le préside en ce moment, a-t-il consulté ses pairs avant de quitter le navire? En tout cas, le Chef d’état-major général français, le Général Lecointre, était en visite au Sahel (Niger, Mali) le 11 décembre pour « évaluer » l’action de la force française avec ses alliés locaux et européens sur le terrain.
Le 10 décembre 2020, le Maroc, qui a toujours été en première ligne à côté des Palestiniens et dans la question de Jérusalem (en présidant le Comité Al Qods), vient de normaliser ses rapports avec Israël, au motif que les Etats-Unis ont reconnu, en échange, sa souveraineté sur le Sahara occidental. On sait qu’Israël a annexé le Golan, Jérusalem-Ouest et colonisé une bonne partie de la Cisjordanie qu’il s’apprête à annexer, avec le soutien tacite des Européens, attitude hypocrite que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou (le mot est de lui) leur demande d’abandonner.
Bah N’Daw, le Président de la Transition, se trouve devant le même problème que Moussa Traoré et ATT : prendre la responsabilité devant l’Histoire d’entériner la partition du Mali, ou démissionner, au risque d’encourir, cette fois-ci, la condamnation de la postérité. Qu’Allah lui accorde longue vie !

Ibrahima KOÏTA, Journaliste
sorymacalou1960@gmail.com